Prologue ~
Il fait chaud dans les pieux collés les uns aux autres, dans cette piaule merdique, dans cet orphelinat de malheur. Nayeli transpire de tous côtés, même ses yeux semblent voir éclore des gouttelettes de sueur, elle a chaud, elle crève de chaud et elle n'arrive même plus à respirer. On ne sait pas vraiment quel âge elle a ce soir-là, on estime qu'elle a dépassé la douzaine d'années. Elle prend ses pantoufles, elle fourre des affaires dans un sac ; elle va sauter sur le pavé, elle va s'enfuir, fuir toute cette misère orpheline, mener sa vie ailleurs que dans cet endroit putride où les murs crachent sur le carreau transpirant. Une dernière fois elle regarde les visages des endormis, elle n'arrive même plus à sourire -ça ressemble plutôt à un rictus contrit, une grimace d'enfant dégoûté par les brocolis- puis elle se laisse tomber dans la rue. Ça a fait du boucan le lendemain, la petite Nayeli s'est enfuie, la miss Riddle-Costa, celle qu'on a trouvé avec une liasse de billets dans les couches, elle est partie, tête brûlée qu'elle était, ça n'étonne même pas le directeur de l'orphelinat. Pendant deux jours ça secoue l'orphelinat puis tout le monde s'en lasse, oublie, Nayeli est remplacée par une nouvelle pensionnaire. De son côté, la petite commence une nouvelle vie, elle erre dans les rues de villes brésiliennes pu recommandables, elle voit des choses qui ne la choquent que la première fois puis elle fait avec, elle saute dans les gouttières, se cache dans les bennes, évite les pièges que tendent les habitants de la rue, ceux qui foulent l'asphalte la nuit, ceux qui tire à bout portant sur les ombres derrière les voitures. Jusqu'au jour où elle se fait coincer et attraper, ce jour elle l'oubliera jamais, c'est le jour où tout à commencé, le jour où elle a rencontré Walder, au détour d'une ruelle de Rio, elle qui pensait n'y rester que quelques heures, le temps de s'évader, la voilà enchaînée à ce bouleau faussement stable. Disons qu'elle apprécie d'être sédentaire mais ce Walder, c'est un type qui la jette dans des galères infernales, un type qui l'utilise comme appât et l'associe à ses meilleurs tueurs. Des tueurs à gage, des tueurs qui ratent jamais leur cible et qui n'ont même pas des têtes de tueurs. Elle voudra jamais le reconnaître, mais elle y prend goût, la petite; elle aime l'adrénaline, les battements de son coeur à ses tempes au moment où elle détalle à toute vitesse, quand elle saute sur une moto, quand elle entend le bruit sourd du mec qui se fait abattre, son corps tombe sur le sol, sans vie. Et aucun moyen de remonter à son meurtrier, un bel inconnu aux yeux de tous, même de l'état.  


Épisode 1 ~
Une brise s'engouffra dans le couloir sinueux de la ruelle, une brise chaude, sèche, une brise qui laissa un goût amer, une odeur âcre derrière elle. Nayeli avait mal à la jambe, elle avait couru un peu trop loin, s'était trompée de moto -quelle moto ? La moto n'était jamais venue ! Plan foiré, plan foireux. D'une main, elle tenait le portable qu'on lui avait refilé pour l'occasion mais la bête était déjà bousillée et le bout de l'antenne de son talkie-walkie envoyait des roses d'étincelles -si bien qu'elle le jeta sur le sol. Sa tête tourne, elle aussi. Elle chercha derrière elle, du regard, une réponse (pourquoi ça a mal tourné) puis elle s'adossa au mur, essoufflée, un peu trop blessée pour continuer. Qu'est-ce qu'il s'était passé ? Elle se rappelait la balle, sortie de nulle part, logée en plein dans son flanc. Son sang n'avait fait qu'un tour. (Mauvaise personne, putain, qu'est-ce qu'elle fout, merde, j'le savais, elle est pas fiable, c'est une putain de débutante, une fake). Puis l'autre balle était partie. Cette fois, elle alla se loger directement dans le crâne du type qu'il fallait avoir. Mais derrière elle, derrière Nayeli, le type est chancelant, pas mort. D'un geste, il lui flanqua son couteau sous la gorge. La gosse se débattait avec la rage de la gamine des rues, mordant les doigts, héréditant seulement d'une éraflure sur l'avant-bras. (Je l'avais même pas sentie celle-là). Elle sourit un peu. Puis un éclair aveuglant, suivit d'un bruit de fracas, un de ces bruits qui rend sourd, qui provoque des acouphènes, vint la plaquer contre le mur en béton. (Y'a un truc, y'a un truc qui va pas putain). Dans l'affolement, elle tente de se hisser sur l'échelle rouillée qui pend devant elle. Mais c'est vain, comme geste. Elle bascula en arrière et finalement, elle l'avait trouvée sa moto. Et dans un éclair, elle disparaissait. Au volant, c'était elle, encore elle, toujours elle, avec ses iris bruns et son sourire enjoué. Ses lèvres trop fines, son visage pâlot, la France coulant dans ses veines et ses manières gracieusement brutales. Elle voulait lui sourire et se cramponner mais cette conne avait foutu le boxon dans le plan de base et elles allaient toutes les deux se faire cramer pour cette connerie. Elle n'avait pas non plus assez de force pour lui donner des coups de poing dans le dos, pour la saisir par le cou, pour lui arracher les cheveux. Elle laissa juste sa tête se poser sur son épaule. (Peut-être Walder sera indulgent) (c'est impossible, il ne l'est jamais) (mais c'est une nouvelle, tout de même, elle est nouvelle) (de toute façon, je n'y suis pour rien, j'ai fait comme on avait dit, elle a buté les deux types au lieu d'un) (qu'elle est conne) (qu'elle sent bon aussi). Et l'odeur de fleur d'oranger engourdit ses muscles, ses narines, la faisant plonger dans un sommeil léger, un sommeil qui serait vite rompu par l'arrêt du moteur, l'arrêt des mouvements de la moto. « C'est sa faute, elle a buté les deux types, j'ai rien f-... » un gros coup dans les côtes -un coup imaginaire, ouais-, elle se sentit tomber sur le sol mouillé du QG de Walder et plongée dans une paralysie qui l'obligea à entendre sans avoir la force de se lever, d'interrompre, de dire quelque chose. (On n'est pas chez Wald, c'est quoi ce plan, je vais mourir c'est ça ?) Sur le sol, elle se laissa mourir l'espace de quelques secondes avant que la voix suave, la voix douce, l'accent à couper au couteau, la voix de Romane. « Je t'ai sauvée merde. » (elle raconte quoi cette pauvre folle, pauvre conne, t'as fait n'importe quoi) « J'aurai pu t'éviter cette saloperie si ce con n'avait pas … putain fait chier. » sa voix était chargée de rage et d'anxiété, elle accompagna ses mots d'un gros coup de pied dans un bidon d'essence vide. Si elle n'avait pas été là, au milieu de ces types, si elle n'avait pas été l'appât, elle aurait buté le bon type, elle l'aurait laissée en plan, chacun pour sa peau, c'était pas à elle de s'occuper de la petite. Elle avait essayé de l'ignorer, le type avec son couteau mais elle avait pas réussi, elle avait vu cette lame briller, faire reflet dans la perruque bleue de la petite, puis la main menaçante, le faux regard innocent, bleu. Et. PAN. Elle l'avait visé. Mais ce con avait bougé. Et puis elle était dans son champ. Et c'était parti en couilles, elle avait buté l'autre, elle l'avait bien visé en plein dans le crâne et elle attendait que la petite soit partie, qu'elle soit vivante pour enfourcher la moto et aller la récupérer. Elle l'avait suivi, elle pouvait pas l'abandonner, elle avait eu si peur pour elle et putain c'était pas normal elle en avait tremblé. « Hey ça va ? C'est allé trop vite …  » elle était devenue pâle, Nayeli. Sa perruque était tombée, elle avait la tête auréolée avec ses cheveux blonds éparpillés autour, comme un bel halo, comme un ange. Elle sourit et s'accrocha à son cour. « Bienvenue à Rio. » et c'était comme ça qu'elle signait ? Ça y était, Romane et Nayeli, c'était le début, jusqu'à ce que Romane se fasse exploser les yeux, qu'elle perde un doigt, qu'elle meure à son tour, qu'elle se tire. Ça arriverait, ça arrivait toujours.


Épisode 2 ~